samedi 8 juin 2013

Rien ne vaut la vie

On le sait bien, le photo de presse est décrite comme morte par la presse justement, cela depuis belle lurette. C'est d'ailleurs à se demander comment autant de gens réussissent à en vivre plus ou moins bien, bon an mal an. Mais le mythe du reporter de guerre a la vie dure et ce métier (à supposer que cela en soit un) fait toujours rêver tout un tas de jeunes photographes (et aussi des vieux). Certains n'hésitent pas à se lancer dans le grand bain, au risque parfois d'y laisser leur vie. Parce que la photo de reportage se pratique dans l'action et pas du bar d'un hôtel. Mais dans tous les conflits et particulièrement dans les guerres civiles, la mort ne fait de cadeau à personne. Dans ces conditions, toute erreur d'appréciation se paie cash et on ne peux pas compter sur la chance pour s'en sortir à chaque fois. 
Alors bien sûr on croise tous les doigts pour ce jeune photographe de 22 ans, Edouard Elias et l'autre journaliste qui l'accompagne, le très expérimenté Didier François. J'espère qu'on va les retrouver et qu'il vont rentrer sains et saufs.
En attendant, ce que l'on mesure aujourd'hui, c'est la réaction éhontée d'une très grande partie de la presse française, qui spécule (c'est parfaitement clair) sur une issue qui pourrait être dramatique. Pour commencer, 2 régions se disputent par l'intermédiaire de France 3 pour savoir de quelle origine est ce jeune photographe. Il est tour à tour lorrain (lien), puis gardois (lien) avec le même portrait photographique. Ce qui est sûr, c'est qu'il vécu 10 ans en Egypte. Pourtant il y a encore peu de temps, Edouard Elias était parfaitement inconnu et à peu près tout le monde dans les rédactions parisiennes se contrefoutait de son travail (que vous pouvez voir ici). Brutalement, tout le monde s'y intéresse, comme c'est étrange ... L'été dernier, il avait démarché des magazines sans résultat, sur le même sujet de la guerre en Syrie dans la ville d'Alep. Aujourd'hui, tout le monde veut publier ses photos. Comme c'est étonnant.
Ce sont 2 journalistes chevronnés (Laurent Van der Stockt et Rémy Ourdan) rencontrés à Visa l'année dernière qui ont recommandés semble t-il Edouard Elias. Il a d'abord signé chez Getty Images pour les images réalisées en Syrie en 2012 (puis chez Haytham Pictures) (*). Mais quand France 3 Lorraine parle de consécration à 21 ans, pour 2 photos publiées dans Paris-Match, Sunday Times et Der Spiegel, on pourrait presque sourire, si la situation n'était pas aussi dramatique. 
Dans l'excellent petit film de Michel Puech (A l'oeil - Journalisme et Photographie - lien) qui date de février 2013, on peut mesurer la passion qui anime Edouard Elias et aussi sa prudence quand il dit textuellement "Je n'ai pas envie de me faire trouer tout de suite" en parlant de son expérience sur le conflit syrien et des risques qu'il peut prendre en toute conscience.



Comme souvent, Télérama se distingue avec un article publié le 7 juin (ou moment où on est déjà sans nouvelles de lui) présentant un portfolio des photos d'Edouard Elias (Ici) en décrivant son travail comme "bluffant" avec juste au dessus une pub qui propose de gagner un voyage à Tahiti. Cet article de Lucas Armati reprend largement son précédent texte publié en octobre 2012 (ici) qui s'interrogeait sur l'existence d'une génération "Printemps Arabe" chez les reporters de guerre. Un printemps arabe qui est rappelons-le une expression reprise par les médias en passe de devenir un cliché éculé, à tel point qu'on ne l'utilise plus. Ce qui est marrant, c'est que le reste du temps, Télérama raconte que la photo de presse est morte (juste avant Visa et chaque année) et flingue le lauréat du Worldpress 2013 qui "cherche visiblement à nous tirer des larmes" avec un cliché honteusement manipulé, comme c'est désormais d'usage chez les photographes selon l'hebdo culturel redresseur de torts.
Pour finir, il faut noter que Edouard Elias est mandaté pour ce reportage en Syrie par le site internet d'Europe 1. Europe 1 une radio bien connue pour publier des reportages de guerre photographiques. 
Ainsi va la presse en France (et ailleurs aussi), voulant à tout prix empailler le photo-journalisme et refusant de voir les photographes comme des hommes exerçant leur métier avec un petit supplément d'âme. Vivement des bonnes nouvelles pour ces deux garçons qui sont un peu l'honneur de la profession de journaliste.

Frozen Piglet

"Pour mourir, encore faut-il avoir vécu" Jean d'Ormesson

(*) Après vérification, Getty distribue 21 images d'Edouard Elias et Haytham Pictures 143, toutes de grande qualité. Ceci juste pour remettre la situation en perspective.

4 commentaires:

Romi a dit…

http://www.france24.com/fr/20130609-drones-civils-interessent-journalistes-redactions-express-france-tour-de-france?ns_campaign=editorial&ns_source=twitter&ns_mchannel=reseaux_sociaux&ns_fee=&ns_linkname=20130609_drones_civils_interessent_journalistes_redactions_express&utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter

voila voila ... Mais heureusement y a le mythe, on pourra toujours draguer les gonzesses ...

-ju a dit…

Un peu inexact pour le coup, le "parfaitement anonyme", vu que son boulot de l'été dernier lui a ouvert des portes des rédacs, dont certaines qui lui passent des commandes, VSD entre autres, Libé aussi je crois bien... Elles n'ont pas attendu son enlèvement pour s'intéresser à lui de près.
Mais bon, assez d'accord avec toi dans l'ensemble.

Frozen Piglet a dit…

Comment ? VSD a pas encore déposé le bilan ?
La dernière fois que j'ai vu ce canard, c'était en 1997 chez mon dentiste.
Libé ils payent toujours 75 euros la prise de vues ?

-ju a dit…

haha, la preuve, ils paient même les photos en commande, des fois.
Et ne parlons pas de tarifs, on va encore tomber d'accord ! ;)

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