lundi 1 mars 2021

Crevures

Contre vents et marées, la presse quotidienne régionale (PQR) est un des très rares secteurs qui maintient encore un semblant de service photo et donc des photo-journalistes salariés, au sein des rédactions (pour combien de temps encore ?). Ceci pour des raisons relativement simples. Les photographes de ces titres se doivent d'être très proches du terrain et des gens. En général, ce sont des professionnels d'expérience, qui connaissent parfaitement leur métier, leur environnement géographique, leurs interlocuteurs, les autorités locales. 

Samedi 27 février, un photographe du journal L'UNION, Christian Lantenois (65 ans), a été laissé pour mort par une bande de petites crevures, dans le quartier de la Croix-Rouge de Reims. Ces petites merdes lui ont bien entendu volé son matériel, histoire de ne s'être déplacés pour rien. Frappé à la tête violemment par une horde de sauvages, on ne sait pas encore comment la situation va évoluer pour ce pauvre garçon et s'il va avoir à subir des lésions neurologiques irréversibles. 

Je me souviens de la triste histoire de David Sauveur, un reporter  photographe qui travaillait pour l'agence VU, rendu infirme par son agression en 2011 par 3 connards, condamnés depuis à 15 ans de prison (l'un s'est enfui. Il avait été déjà condamné à 27 reprises !). David Sauveur s'était rendu en Afghanistan, en Israël, en Palestine, au Liban et en Sierra Leone pour travailler sans se prendre une balle. Il aura fallu qu'il croise le chemin de 3 crétins à Collioure pour finir sa vie dans un fauteuil roulant, tétraplégique après des mois de coma.

Je me souviens aussi de Jean-Claude Irvoas, spécialiste de l'éclairage urbain, tué en 2005, à Epinay-sur-Seine, devant sa femme et sa fille, pour avoir voulu photographier un lampadaire sur la voie publique. 

Des menaces, des manoeuvres d'intimidations, nous en subissons tous (parfois même de la police elle-même). Quand on se rend dans les quartiers dits sensibles. En général, c'est directement lié au traffic de stups. Il s'agit de t'empêcher de faire des photos ou de te voler ton matériel, ou les deux. Bah oui ! Tant qu'à faire ! T'es con ou quoi ?!

J'ai moi-même eu à faire à des petits caïds qui prétendaient faire leur loi, parce que je me trouvais d'après eux sur leur territoire. Que ce soit en Seine Saint-Denis (Francs Moisins par exemple), à Nanterre, à Barbès, dans les manifs ou ailleurs. Il vaut mieux ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

Est-ce que ce métier de passion vaut le coup de gâcher sa vie pour quelques photos qu'on ne vendra peut-être jamais ? Je ne sais pas. Parce que, quand on part bosser, on ne se pose même pas la question.

La seule question que je me pose vraiment, c'est qu'est-ce qu'on va faire de ces types qui sont capables de tuer quelqu'un sur une simple pulsion, comme des animaux.

Frozen Piglet

Lettre rédigée par l'épouse de Christian Lantenois, faisant suite à la couverture médiatique de ce drame.

« Bonjour, Je suis Jo, la femme de Christian.

J’essaie le plus possible de rester loin de toute cette médiatisation qui est pour moi aussi violente que le reste… De voir tous ces hommages dithyrambiques de la part de la direction me lève le cœur et me fait plus de mal que de bien… C’est facile de se donner bonne conscience et surtout de se mettre en scène dans tous les médias…

Mi 2017, Christian – estimant avoir prouvé ce que, vu les circonstances, on lui reconnaît à l’unanimité – toujours à l’indice 160 à ce jour, demande au rédacteur en chef de l’époque de passer à l’indice 175 de Grand Reporter, pour finir les 6/7 ans de sa carrière et, forcément, un petit plus à la retraite… La réponse fut royalement une seule et unique prime de 300 euros fin décembre de la même année.

On lui a répondu qu’ils allaient voir, en discuter en réunion, que ça suivait son cours, qu’il fallait être patient et, bien sûr, au bout de quelques relances, de toujours avoir une réponse évasive, Christian s’est rendu compte qu’on le menait en bateau, qu’on se fichait de lui, a laissé tomber…

C’était là, le bon moment de lui prouver la reconnaissance de son travail !  Pas sur son lit d’hôpital entre la vie et la mort…

Donc pour conclure, vous traitez l’actualité comme vous voulez, mais cessez cette mascarade de témoignages de collègues même sur les ondes (en plus de personnes qui l’ont peu connu) de la reconnaissance de sa passion, de sa disponibilité, de son sérieux et de son professionnalisme…

En plus, voir vos infos sur son état de santé me sont insupportables et, la plupart du temps, fausses. Vous ne vivez pas ce qu’il vit et ce que nous vivons… Donc un peu de décence et de respect à son égard. Si le pire arrive, il sera grand temps de vous remettre en scène… Quand le soufflé sera retombé, s’il y a une suite, avec ses lourdes séquelles… nous ne retrouverons jamais le Christian que nous avons connu, et, les seuls qui seront encore à ses côtés, seront ses proches, enfants, petits- enfants et moi !

Par contre, je tiens à souligner que les témoignages des lecteurs, les témoignages sur les réseaux sociaux de tous ceux qui l’ont connu, qui l’ont côtoyé dans tant de domaines divers et variés, le portrait de la ville de Reims, le pochoir de Kusek me font chaud au cœur de cette reconnaissance de toutes les qualités de l’homme qu’il était et ne sera plus jamais… Eux, n’ont rien à gagner, que de lui témoigner leur soutien ! »


3 commentaires:

Anonyme a dit…

les animaux ne tuent pas sur une simple pulsion, mais pour manger.
Ces décérébrés là devraient être empalés
et je suis calme !

Martial Maurette Photographe a dit…

Rien à dire de plus, comme pour beaucoup de vos articles, en fait très perspicaces.
Je partage le lien de votre blog.
En ces temps confinés, où il ne fait pas bon sortir photographier les humains, (...pour de mauvaises raisons de "sécurité globale"... et de vrais problèmes d'insécurités totales...), gardez la santé.

Frozen Piglet a dit…

Merci Martial

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